- BIOCÉNOSES
- BIOCÉNOSESLe terme de «biocénose» a été introduit dans le langage scientifique en 1877 par le biologiste allemand Möbius, à propos de l’étude des bancs d’huîtres, auxquels de nombreux organismes se trouvent associés.Selon cet auteur, une biocénose est «un groupement d’êtres vivants dont la composition, le nombre des espèces et celui des individus reflète certaines conditions moyennes du milieu ; ces êtres sont liés par une dépendance réciproque»... Celle-ci doit, selon lui, être compatible avec l’aptitude de ces espèces à se reproduire au niveau du site (biotope) qu’occupe la biocénose, ce qui permet le maintien en place du groupement. Par deux points essentiels, la quantification des individus et leur relation d’interdépendance, la notion de biocénose innove de façon décisive en regard des descriptions jusqu’alors données des communautés biotiques. Avant 1850, les naturalistes se bornaient en effet à identifier des ensembles naturels corrélés à des conditions géoclimatiques précises, à l’instar des étages de végétation en montagne, auxquels Alexandre de Humbolt a consacré des pages demeurées classiques.La prise en compte par Möbius des phénomènes de masse, de leurs interactions et de leur équilibre global, n’est pas sans rapport avec les nouvelles analyses des rapports sociaux qui se développent au XIXe siècle et à l’influence dès lors exercée par la pensée de Darwin. Combattant la thèse qui liait l’idée d’espèce à celle d’archétype biologique, Darwin avait utilisé les thèmes de populations naturelles et de lutte pour la vie, ce qui conduisit à l’analyse des communautés biotiques par la méthode statistique. En effet, les biocénoses représentent, dans la série des niveaux d’organisation qui caractérisent le monde vivant, des unités structurées à l’échelle des populations puisqu’elles regroupent des ensembles d’individus habitant à une époque donnée un milieu donné. Faute d’adaptation à ce milieu, certaines espèces seront éliminées par la sélection naturelle. Au contraire, celles qui tolèrent une certaine ampleur de variation des conditions du milieu (température, humidité, etc.) autour de leur valeur moyenne pourront s’intégrer à la communauté à condition que s’instaurent entre les différents habitants des équilibres d’intersubsistance. Dans un tel système d’action et de réaction entre les êtres et le milieu, et de coaction des êtres entre eux (selon la terminologie instituée par Clements), deux faits essentiels caractérisent l’agencement des espèces: leur distribution a lieu selon une ordonnance caractéristique qui donne à la biocénose une structure spatiale, et leur succession temporelle obéit à une séquence de stades, ou phénophases , dont la récurrence est cyclique si la biocénose est stable. La division du travail au sein de la biocénose, où chaque espèce remplit une fonction propre, institue une répartition des ressources, autrement dit une organisation trophique donnant naissance à une biomasse dont la grandeur dépend à la fois de l’organisation spatiale et de l’organisation temporelle de la communauté. Ainsi se constitue un capital biologique dont l’homme peut apprendre à percevoir le fruit à condition qu’il se garde d’en détruire les maillons.1. Identification et délimitationIl n’est pas facile de définir avec rigueur la notion de biocénose car des entités en apparence assez différentes peuvent être rangées sous ce vocable.Dans une première acception du terme, la biocénose est un ensemble irrégulier mais bien délimité dans l’espace; c’est le cas, si souvent pris comme exemple, de la communauté biologique d’un étang, ou encore d’un rivage marin. Les rives y diffèrent du centre, et les diverses zones de profondeur les unes des autres, mais il s’agit au total d’une entité biologique fonctionnelle dont les divers organismes constituants ont entre eux des relations innombrables et forment un peuplement stable et relativement autonome [cf. ÉCOSYSTÈMES].Dans le même sens d’un ensemble bien délimité, on pourrait aussi considérer comme biocénose des communautés plus réduites telles que le peuplement d’un arbre mort ou celui d’un cadavre en décomposition. Des communautés aussi restreintes n’ont toutefois qu’une autonomie précaire et une persistance dans le temps très limitée. Il semble préférable, dans ces conditions, de ne les considérer que comme des fragments de biocénoses plus vastes, fragments auxquels il est commode d’appliquer le vocable de synusies .Dans une seconde acception du terme, la biocénose peut s’étendre sur de vastes surfaces, comme une forêt ou une savane, et être par suite difficile à délimiter, mais elle présente alors une structure répétitive dans l’espace et peut ainsi, à une certaine échelle, être considérée comme homogène. Dans un tel cas, un examen, même superficiel, permet d’entrevoir immédiatement les grands traits de la fraction végétale du peuplement – la phytocénose – et d’avoir par là une première idée de son homogénéité. Les botanistes ont été ainsi les premiers à établir les règles qui permettent de délimiter et de définir des groupements homogènes – qui sont pour eux les «associations végétales». La reconnaissance et la définition de la fraction animale – la zoocénose –, au contraire, ne peuvent que très rarement être faites a priori; elles se dégagent a posteriori d’un ensemble de prélèvements nécessairement plus ou moins aveugles puisque la plupart des animaux ne sont généralement pas immédiatement visibles et que leur étude implique des techniques particulières d’observation et de capture.La recherche des associations parmi les groupes de relevés s’est faite d’abord par des procédés graphiques, relativement empiriques, comme les tableaux d’analyse différentielle de Czekanowski, mais le développement du calcul automatique, qui permet maintenant de déterminer rapidement des coefficients de corrélation entre relevés, a conduit à établir et à traiter statistiquement des tableaux où apparaissent de façon quantitative les affinités recherchées.Dans la pratique, la définition d’une biocénose doit ainsi se faire par étapes. Un premier examen permet une reconnaissance préliminaire s’appuyant essentiellement sur les organismes les plus visibles et les plus abondants, c’est-à-dire pratiquement les végétaux supérieurs dans le cas des milieux terrestres. L’analyse des relevés faits dans le sein des groupements ainsi reconnus conduit ensuite à préciser la limite et les caractéristiques des communautés.2. Composition spécifiquePour traduire la composition d’une biocénose, on s’est d’abord contenté d’en énumérer les espèces, végétales et animales. Les formes microscopiques, Bactéries et Protozoaires notamment, en étaient toutefois à peu près généralement exclues. On a ensuite introduit, pour chaque espèce, une indication concernant son abondance (espèce très commune, commune, rare, très rare). De telles indications n’ont cependant qu’une valeur subjective et leur signification quantitative, c’est-à-dire traduite en densité, diffère évidemment beaucoup selon la taille de l’espèce.En se limitant aux végétaux supérieurs (Phanérogames et Cryptogames vasculaires), des botanistes ont élaboré tout un système, la phytosociologie , qui permet une description relativement précise d’un peuplement végétal. À la notion de formation végétale , définie essentiellement par sa physionomie (forêt, maquis, steppe, savane), s’est ajoutée ainsi celle d’association végétale , définie par sa composition floristique, et que certains phytosociologues ont voulu assimiler à une unité taxinomique. Des travaux très nombreux ont été faits dans cette voie, qui est caractérisée essentiellement par l’emploi de techniques «semi-quantitatives» appliquées à des relevés, listes d’espèces recensées dans une surface bien définie (aire minimale).Un indice d’abondance-dominance (de 1 à 5) traduit, pour chaque espèce, la place qu’elle occupe sur le terrain. Cet indice est complété par un indice de sociabilité , qui rend compte du degré de groupement des individus (5 représentant un groupement très dense, 1 les individus isolés). Des catégories de présence – ou indices de fréquence –, allant elles aussi de 1 à 5, expriment la constance de chaque espèce dans les différents relevés faits au sein d’une même biocénose; leur ensemble donne une image du degré d’homogénéité de la biocénose. Enfin, prenant en considération l’ensemble des peuplements d’une région, on fait apparaître le degré de fidélité de chaque espèce à ces divers groupements, définissant ainsi des espèces dites caractéristiques .Les difficultés de capture des animaux, liées à leur mobilité et à la très petite taille de beaucoup d’entre eux (micro-arthropodes du sol par exemple), la diversité extrême du monde animal, conduisant à des difficultés d’identification, ont considérablement retardé l’essor de l’étude des groupements animaux.Les premières recherches ont été faites dans les milieux aquatiques, tant marins que dulçaquicoles, où la récolte massive de la faune est souvent plus aisée. Ces études avaient parfois, en outre, une importance pratique très grande dans la mesure où elles permettaient d’améliorer la pêche. Dans le cas de la faune benthique, les techniques se rapprochaient de celles de l’écologie végétale. La faune du sol, composée surtout d’organismes de petite taille et assez faciles à récolter grâce à certaines techniques, a fait aussi, assez tôt, l’objet d’études qui ont permis de préciser divers points de la doctrine de la synécologie.Dans le domaine terrestre épigé, on avait d’abord considéré seulement des communautés animales restreintes, comme le peuplement d’un nid, ou encore les seuls représentants d’un groupe zoologique, les Mollusques par exemple. C’est seulement depuis une date récente que des zoocénoses plus vastes ont été analysées.Les principes de la phytosociologie ont été appliqués à diverses reprises à des peuplements animaux. Les indices sociologiques ainsi utilisés permettent la caractérisation précise d’une biocénose, même s’ils n’ont été définis qu’à partir d’une fraction de cette biocénose. La composition spécifique, par le fait qu’elle inclut plusieurs dizaines d’espèces, traduit en effet avec beaucoup de finesse les caractères de l’ensemble du milieu.De telles méthodes ne fournissent pas, toutefois, une description réellement quantitative des biocénoses. Les recherches de l’écologie moderne sur les bilans énergétiques des écosystèmes ou sur les équilibres entre espèces exigent une connaissance plus exhaustive de la structure démographique des différentes populations animales et végétales. Aussi a-t-on tenté de développer un ensemble de techniques permettant de déterminer soit par recensement complet, soit plus souvent par échantillonnage, la composition exacte de la biocénose.Techniques d’analyse quantitative d’un peuplement animalLes techniques qui permettent, sur le terrain, de recenser les populations et de définir avec précision un peuplement animal sont nombreuses et diverses, mais il importe d’ajouter qu’elles sont toujours difficiles à employer et qu’elles ne sont jamais fidèles.En milieu aquatique, certains appareils enferment une quantité donnée de liquide, et le tri des organismes – obligatoirement de petite taille – est fait ensuite au laboratoire, après fixation au formol par exemple. La précision de l’analyse est alors satisfaisante, mais le volume étudié nécessairement très restreint. Une autre technique utilise des filets, traînés sur une distance déterminée, et qui retiennent les organismes présents dans le volume ainsi filtré. L’imprécision provient alors du volume d’eau prospecté et de la perte d’animaux par fuite. Bien entendu, des filets différents doivent être adaptés aux différentes catégories de taille des organismes, la méthode pouvant s’appliquer au plancton comme aux poissons.Dans le milieu endogé, le prélèvement d’un volume déterminé de sol est aisé; diverses techniques permettent ensuite d’en extraire de façon plus ou moins complète les habitants (Collemboles et Acariens, Nématodes...). Mais les volumes de sol étudiés restent minimes, de sorte que, pour des organismes plus grands, comme les lombrics, la technique n’est plus utilisable.Le peuplement animal des biocénoses terrestres est le plus difficile à étudier. Dans le cas des forêts, il est pratiquement inaccessible à un recensement, même approximatif. Seuls les biotopes herbacés ou peuplés d’arbrisseaux peuvent faire l’objet d’une analyse répondant à une précision raisonnable si l’on emploie un jeu de méthodes diverses: filet-fauchoir, sélecteur se refermant sur des herbes ou des branches, aspirateur, cylindre projeté sur le sol, pièges à succion. Il faut ajouter les carrés de ramassage et surtout les biocénomètres, cages sans fond que l’on plaque sur le sol et à l’intérieur desquelles se fait la collecte. Bien entendu, la surface prospectée doit être en rapport avec la taille des organismes ramassés. Sur des surfaces suffisamment grandes, de bons résultats peuvent être obtenus dans la collecte des Reptiles et des petits Mammifères lorsqu’on dispose d’une équipe suffisante. On peut aussi, pour les petits Mammifères, procéder à un piégeage total. Pour les Oiseaux et pour les Mammifères de grande taille, les dénombrements peuvent se faire par repérage sonore ou visuel, sans capture préalable, soit sur une superficie donnée, soit le long d’un itinéraire régulièrement parcouru. L’observation et la photographie aériennes sont parfois d’un grand secours dans les milieux ouverts.Ces diverses techniques visent à une détermination absolue de la densité des organismes présents. Lorsqu’elles sont inapplicables, une grande variété de pièges de tous ordres permet d’obtenir au moins des indices d’abondance des espèces, et notamment de suivre les variations de leurs effectifs au cours des saisons successives. Citons seulement, parmi ces pièges, les trappes et fosses, appâtées ou non, les pièges adhésifs (type papier «tue-mouche»), les abris-pièges, les pièges lumineux, les pièges chimiques olfactifs, les pièges à eau (assiettes colorées), etc. Tous présentent le défaut majeur d’être extrêmement sélectifs, et donc de donner une idée très déformée de la biocénose.Signalons enfin qu’on se contente parfois de repérer et de dénombrer des indices de l’activité des animaux, comme des excréments, des empreintes, des nids ou des dégâts.3. Structure spatialeLes différents organismes qui composent une communauté ne vivent pas «en vrac» dans l’espace: ils y occupent des emplacements qui sont souvent bien définis, tout en étant variables dans le temps s’il s’agit d’animaux mobiles. L’existence de cette localisation joue un rôle essentiel dans la vie de la communauté, puisqu’elle permet ou empêche la rencontre des diverses espèces et, d’une façon plus générale, préside à leurs relations. Elle est notamment à l’origine des rapports trophiques qui existent entre les organismes, et donc du fonctionnement même de l’écosystème auquel ils appartiennent.La répartition spatiale des êtres vivants peut être considérée d’une part sur un plan horizontal, d’autre part selon un axe vertical.Distribution sur un planSur un plan horizontal, divers types de répartition sont possibles pour les individus d’une même espèce. Les distributions régulières sont rares, liées à l’existence d’un comportement territorial poussant chaque individu à ne pas tolérer de voisin de la même espèce à moins d’une certaine distance. Une distribution au hasard implique au contraire une rareté d’interactions entre les individus en même temps qu’une homogénéité des facteurs du milieu. Ce sont les distributions par amas, dites distributions contagieuses, qui sont de beaucoup les plus fréquentes. On définit parfois à leur sujet un indice d’agrégation, rapport de la variance à la moyenne de la distribution. Il faut toutefois remarquer que ces amas peuvent exister à des échelles très diverses (fig. 1).Il importe ensuite de considérer les distributions conjointes des diverses espèces de la biocénose, prises deux à deux et analysées par les techniques classiques de l’association et de la corrélation. De telles études font apparaître l’attirance, ou au contraire la répulsion, de certaines espèces les unes vis-à-vis des autres et mettent sur la voie de problèmes biologiques qu’il reste ensuite à analyser expérimentalement.Dans l’espace le milieu se transforme souvent d’une manière progressive et continue, suivant une combinaison de gradients: température, humidité de l’air, profondeur de la nappe aquifère. Les diverses populations végétales et animales devraient alors se chevaucher progressivement selon chaque gradient particulier formant un continuum , biocénose mal définie et hétérogène.Mais un changement brutal des communautés intervient lorsque les conditions de milieu changent brusquement pour des raisons topographiques, géologiques, ou sous l’action de l’homme; de tous temps, celui-ci a fortement contribué à découper le paysage végétal en une mosaïque de biocénoses que l’on peut grouper en espaces boisés (silva ), espaces herbeux (saltus ) et cultures (ager ).La limite entre deux biocénoses contiguës, entre forêt et prairie par exemple, est l’écotone . Celui-ci comporte, en plus des constituants de deux biocénoses, des organismes qui lui sont propres. Le nombre d’espèces et la densité de populations de certaines espèces y sont souvent plus grands: c’est l’effet lisière , utilisé pour l’aménagement de la vie sauvage dans les régions agricoles (protection du gibier).Stratification verticaleLes éléments constituants d’une biocénose ne sont pas disposés sur un plan, mais dans l’espace, et la distribution des organismes suivant cette troisième dimension, la verticale, est à l’origine d’une diversification de la structure qui peut être considérable: c’est la stratification des organismes, et plus précisément ce que l’on a appelé la stratification verticale (fig. 2 et 3).Le long d’une verticale en un point donné, le milieu physique varie. Il présente, d’une part, des discontinuités brusques, comme le passage de l’atmosphère au sol, ou le passage de l’atmosphère à un milieu aquatique et ensuite du milieu aquatique au fond, et, d’autre part, des gradients progressifs de pression, d’intensité lumineuse, de teneur en oxygène ou en autres substances chimiques. De tels gradients existent dans l’air, dans le sol et dans les eaux. L’ensemble de ces discontinuités et de ces gradients définit des strates , caractérisées par une certaine distribution des organismes végétaux et animaux.D’une manière très générale, il existe deux strates essentielles: la strate supérieure, ou euphotique, éclairée par le soleil, où peuvent se développer les organismes autotrophes (producteurs), et la strate inférieure, obscure, où seuls des organismes hétérotrophes (consommateurs) peuvent vivre.Dans le cas des milieux terrestres, le passage entre les deux strates est brusque au niveau du sol. Dans le cas des milieux aquatiques profonds, où la lumière est graduellement absorbée par l’eau, le passage de la strate euphotique à la strate obscure est au contraire progressif. Au sein de ces strates majeures, les gradients des divers facteurs introduisent des subdivisions supplémentaires, plus ou moins tranchées. Les conditions sont toutefois très différentes selon que le milieu est aérien, aquatique ou endogé.Dans le milieu aquatique – eau douce ou eau de mer –, la stratification est un phénomène de bien plus grande ampleur qu’en milieu aérien, puisqu’elle peut s’étendre sur plusieurs milliers de mètres de profondeur. Des facteurs très nombreux y présentent des gradients plus ou moins rapides. La lumière, par exemple, maximale en surface, a presque disparu à 120 mètres; sa composition varie d’ailleurs avec la profondeur, les radiations rouges pénétrant plus loin que les radiations bleues. La température varie aussi selon des lois qui dépendent des conditions locales. Les teneurs en oxygène, en gaz carbonique, en matière organique et en sels dissous y présentent également des gradients très marqués, et d’ailleurs variables dans le temps. Cette diversité des conditions physiques et chimiques selon la profondeur entraîne évidemment une diversité des peuplements végétaux et animaux. Dans un océan ou un lac profond, la stratification se manifeste ainsi par la présence de plusieurs peuplements superposés, qui peuvent être totalement différents tant par l’identité des espèces présentes que par leur nombre et par les groupes auxquels elles appartiennent.De tels ensembles pourraient être considérés comme distincts s’ils n’avaient pas entre eux des relations étroites et parfaitement définies, que soulignent, par exemple, les déplacements des organismes en sens vertical. Aussi traite-t-on généralement ces peuplements superposés comme des sous-ensembles, ou synusies, d’un même écosystème.Sans être évidemment aussi marquée ni aussi stable, une stratification n’en existe pas moins dans les eaux peu profondes. Elle se manifeste même dans des mares de quelques dizaines de centimètres de profondeur.4. Variations du peuplement dans le tempsVariations cycliquesIl n’est guère de milieu où les facteurs physiques et chimiques restent constants dans le temps. L’alternance du jour et de la nuit introduit ainsi dans la vie des végétaux, et même dans celle des animaux, un rythme dont l’importance est essentielle. La succession des saisons entraîne également des variations considérables de la température, de la luminosité, de la pluviosité et, corrélativement, de tous les autres facteurs du milieu. Les diagrammes ombrothermiques du type de celui de Gaussen rendent bien compte des variations conjointes de la température moyenne et des pluies mensuelles (fig. 4).Les réactions des êtres vivants à ces variations du milieu sont de nature très diverse. À l’échelle de la journée, ce sont surtout des changements de comportement et d’activité, ainsi que des changements de localisation dans le cas des formes mobiles (fig. 5). Il y a ainsi des rythmes de sommeil, de prise de nourriture, de repos, de changement de strate. Les variations saisonnières affectent également l’activité de certaines espèces à longue durée de vie (hibernation ou estivation à l’état inactif, enfouissement, perte des feuilles, changement d’état), mais elles déterminent aussi le cycle démographique de beaucoup d’espèces à durée de vie courte: passage de la mauvaise saison à l’état d’œuf ou de graine, disparition ou diminution importante des effectifs, etc. Elles entraînent parfois aussi, chez les animaux, des migrations plus ou moins lointaines, c’est-à-dire des changements de biocénose (Oiseaux, certains Mammifères, Poissons, Amphibiens, Insectes à larves aquatiques...). Cette périodicité saisonnière joue un rôle déterminant dans la vie de la plupart des biocénoses. Elle fait se succéder, sur un même territoire, des peuplements dont seuls persistent certains éléments (fig. 6).Dans nos régions tempérées, ou dans les régions plus froides, la biocénose hivernale apparaît très pauvre et constituée en majeure partie d’organismes en état d’inactivité (arbres défeuillés, rhizomes, Invertébrés engourdis par le froid ou en diapause). À partir du printemps, certaines espèces commencent à se multiplier activement, puis d’autres prennent leur place en été et en automne tant dans le règne végétal que dans le règne animal. La diversité de l’écosystème se trouve grandement accrue par cette succession qui, au même titre que la stratification, multiplie les niches écologiques.En forêt caducifoliée, par exemple, l’augmentation progressive du rayonnement dès la fin de l’hiver et le développement de l’écran vert constitué par la nappe foliaire des arbres et arbustes au début du printemps créent, au niveau du sol, une succession de microclimats. Celle-ci détermine un enchaînement de processus physiologiques dans la strate au sol, qui connaît une succession de foliaisons, floraisons et fructifications. L’étude détaillée d’une chênaie calcaire en Belgique montre ainsi la succession d’une phase vernale à géophytes (Narcissus , Scilla , Anemone ), développée par insolation directe du sol avant la foliaison des essences ligneuses, d’une phase vernale décadente à Galeobdolon , Arum , Euphorbia amygdaloides , lorsque le rayonnement direct est supprimé par l’épanouissement de la nappe foliaire des strates arborescentes, puis des phases estivales à Graminées (Melica , Poa ) et Campanulacées (Phyteuma , Campanula ), soumises à un éclairement stabilisé et à une élévation de température et caractérisées par la disparition totale des géophytes vernales.Dans les savanes tropicales, le passage du feu, à chaque saison sèche, détermine un cycle saisonnier très marqué de la biomasse végétale du tapis herbacé (fig. 7).La périodicité, aussi nette au niveau des zoocénoses qu’à celui des phytocénoses, fait que nombre d’animaux composant une communauté n’ont jamais l’occasion de se rencontrer parce qu’ils déploient leur activité à des moments différents. À des espèces diurnes, par exemple, succèdent des espèces nocturnes, à des espèces de printemps des espèces d’été et d’automne. Ce n’est d’ailleurs pas seulement une espèce animale qui remplace l’autre, ce peut être un type de chaîne trophique qui succède à un autre, et certaines niches inoccupées pendant le jour deviennent fonctionnelles durant la nuit. Ainsi, la mouche tsé-tsé (Glossina palpalis ) ne sévit que pendant le jour, et les filaires transmises pendant la journée par des tabanides sont véhiculées la nuit par les moustiques.Transformations non cycliquesUn autre aspect important des variations dans le temps de la composition des biocénoses est celui de leur évolution non cyclique, c’est-à-dire de leur transformation au long des années sous l’action soit d’une évolution des facteurs externes, soit d’un déterminisme interne. Ces variations ont été surtout étudiées dans le monde végétal, où elles sont plus apparentes. On sait ainsi qu’une surface du sol artificiellement dénudée se couvre progressivement de plantes formant des groupements végétaux qui se remplacent les uns les autres, constituant d’abord un groupement pionnier, puis des groupements transitoires, avant de devenir un groupement climax, qui seul est en état d’équilibre et, en principe, n’évolue plus. Un tel ensemble de groupements successifs constitue une série . Plusieurs séries différentes peuvent d’ailleurs converger vers un même climax. Ces formations climax sont directement en rapport avec le climat régional – d’où leur nom –, bien plus qu’avec le sol dont elles parviennent à être relativement indépendantes grâce à celui qu’elles contribuent à former.La connaissance des séries correspondant aux différents climax permet de définir, par-delà l’état actuel de la végétation, la vocation d’un territoire; elle peut en faciliter ainsi l’utilisation agricole en évitant une phase de tâtonnements.Dans une série, la masse des êtres vivants, ou biomasse, augmente sans cesse pour devenir maximale lorsque le climax est réalisé. En même temps la structure de la biocénose devient de plus en plus complexe.Le climax est lui-même oscillant, parce que l’environnement est sujet à des variations périodiques. Sur des périodes atteignant un millier d’années, les changements de climat peuvent être si importants que l’on observe une succession de climax. L’exemple le plus caractéristique est celui du Quaternaire d’Europe occidentale qui a suivi les dernières glaciations, vers 20 000 avant J.-C.:– toundra à Dryas et steppes à Artemisia de la période tardiglaciaire;– forêt de Pinus et Betula du préboréal;– forêt mélangée de feuillus (Quercus , Tilia , Acer ) et résineux, riches en Corylus de la période boréale;– forêt mixte caducifoliée additionnée de Fagus , Abies et Carpinus de la période sub-boréale;– forêt de Fagus , souvent riche en Carpinus , de la période subatlantique;– forêts caducifoliées de la période actuelle.On appelle succession primaire celle qui commence son développement sur une surface nue où aucune végétation n’a existé auparavant. Une succession secondaire peut se développer lorsqu’une végétation primaire est détruite ou profondément réduite par le défrichement, la coupe à blanc, l’incendie, la dent des animaux domestiques; si ces actions cessent, une succession s’établit dont les stades pionniers et intermédiaires sont fort différents de ceux de la succession primaire correspondante, mais dont le climax tend à se rapprocher du climax idéal sans jamais lui être identique; on parle alors de climax potentiel (plésioclimax de Gaussen).Il est fréquent qu’un stade précédant immédiatement le climax devienne suffisamment long pour apparaître permanent: cela peut être dû à un ralentissement du dynamisme biotique ou à l’action durable d’un facteur humain empêchant l’apparition du climax. Ce stade particulier est un subclimax . On peut citer les diverses chênaies à charmes dont l’exploitation en taillis sous futaie rend difficile l’évolution vers une hêtraie climax. Très fréquents sont les subclimax constitués par des espèces diverses de Pinus et entretenus par des incendies répétés: subclimax de Pinus mesogensis sur sols acides, et de Pinus halepensis sur sols calcaires, dans le midi de la France; subclimax de Pinus silvestris sur sols calcaires dans le sud de la France, ou sur sables lessivés dans le centre de la Pologne; subclimax de Pinus taeda (Loblolly Pine) des champs abandonnés de l’est des États-Unis.L’action humaine elle aussi modifie considérablement la flore primitive par l’introduction d’espèces exotiques qui s’adaptent si bien à la région qu’elles peuvent se développer au point de conduire à un climax différent du climax idéal ou potentiel de la région; un tel climax est un disclimax , et l’exemple le plus cité est l’invasion de vastes parties semi-désertiques de l’Australie par le figuier de Barbarie. Dans certaines parties de la Campine belge, on observe la tendance, sur sols podzoliques, à la constitution d’un disclimax de chêne rouge d’Amérique avec sous-bois de Robinia et Prunus serotina , à partir de reboisements en espèces exotiques, réalisés par les forestiers.Lorsqu’on dit que le climax est la végétation en équilibre avec le climat, il convient de préciser si ledit climat est pris au sens large ou au sens plus ou moins restreint: le climat tempéré de l’Europe occidentale peut être divisé en climat continental et climat atlantique, lequel se subdivise en climats subatlantique, boréoatlantique, armoricain, aquitain, ibérique, etc., tandis que le climat continental rassemble des climats collinaire, montagnard, subalpin, etc. Il s’ensuit qu’à des climats régionaux correspondent des végétations climaciques régionales: ce sont les associations régionales au sens de Schlenker.5. Structure trophiqueLes échanges trophiques représentent au niveau de la biocénose ce que sont les processus de nutrition chez l’individu.Cette structure est définie en premier lieu par les relations trophiques qui existent entre les diverses espèces de la biocénose: ce sont les chaînes alimentaires , qu’il vaut mieux d’ailleurs appeler réseaux trophiques , car les interrelations y sont innombrables. De fait, un prédateur capture souvent des proies très diverses qui varient par surcroît au cours de sa vie, et inversement un animal ou une plante peuvent être victimes de prédateurs et de parasites très divers.L’analyse d’un réseau trophique est un travail difficile. Elle se faisait autrefois par l’observation patiente des animaux dans la nature et par l’analyse des contenus stomacaux, où l’on peut souvent reconnaître les épidermes des diverses espèces végétales et les débris des proies animales. On utilise beaucoup maintenant les éléments marqués qui, injectés en quelque sorte en un point de la chaîne, sont recherchés et suivis ensuite chez les diverses espèces sédentaires de l’écosystème.Si simple que soit la biocénose, le réseau trophique est (fig. 8) toujours d’une complexité telle qu’il importe de le schématiser. Pour cela, on conservera seulement les espèces les plus abondamment représentées et l’on réunira les membres d’un même groupe végétal ou animal dont les exigences trophiques sont du même type: par exemple, l’ensemble des Vers de terre, ou l’ensemble des Araignées. Même ainsi, les réseaux restent encore complexes et l’on est souvent amené à les restreindre à une fraction seulement de la biocénose, une synusie: par exemple la synusie endogée, ou celle de la surface du sol.On peut concevoir de donner à une telle représentation de la structure trophique une signification quantitative en précisant les biomasses des divers groupes indiqués. Pour mieux faire ressortir les grandes lignes de cette structure, il est cependant nécessaire d’en regrouper davantage encore les éléments et de considérer seulement quelques grandes catégories, auxquelles on donne le nom de niveaux trophiques . On définit ainsi le niveau des producteurs (ou producteurs primaires): ce sont essentiellement les végétaux chlorophylliens, qui fabriquent de la matière vivante à partir d’éléments minéraux et d’énergie lumineuse. Ils sont consommés par des phytophages (herbivores) constituant le niveau des consommateurs de premier ordre, ou consommateurs primaires. Ceux-ci servent à leur tour d’aliments à des carnivores (et des parasites) formant le niveau des consommateurs de deuxième ordre, ou consommateurs secondaires. Beaucoup d’auteurs ajoutent encore un niveau supplémentaire de consommateurs de troisième ordre, carnivores consommant des carnivores (et superparasites). On classe souvent aussi dans un niveau trophique particulier un ensemble d’organismes, essentiellement Bactéries et Champignons, appelés décomposeurs , qui utilisent la matière organique des cadavres et des excréments des autres êtres vivants. À vrai dire, il n’existe pas de différences de nature dans les rôles trophiques des décomposeurs, saprophages, saprophytes, nécrophages et des vrais prédateurs. Seules la taille microscopique des Bactéries et l’intensité de leur pouvoir de multiplication, liée à une activité métabolique intense, donnent une impression d’évanouissement rapide de la matière qu’ils utilisent, à l’opposé des organismes de grande taille et à croissance lente. Il semble donc logique de rattacher les décomposeurs aux autres niveaux de consommateurs.La structure trophique de la biocénose ainsi définie peut être représentée de façon synthétique par une pyramide, dite pyramide des biomasses , dont les étages successifs correspondent aux différents niveaux trophiques [cf. ÉCOLOGIE]. La surface de chaque élément de la pyramide est proportionnelle à la biomasse du niveau qu’il représente. Souvent cette biomasse est exprimée par son équivalent énergétique en calories, qui traduit mieux que le poids sec l’importance réelle de la matière vivante des différents groupes d’êtres vivants. Il est certain, en effet, que la coquille d’un Mollusque, le test d’un Oursin, et même le squelette d’un Vertébré, bien qu’ils soient partie intégrante de l’organisme, n’ont pas, pour un éventuel prédateur, le même intérêt alimentaire que les tissus mous comestibles.Les flux d’énergie et de matièreLa pyramide des biomasses ne donne qu’une image statique de la structure trophique de la biocénose, au même titre que le poids d’un individu ne nous renseigne guère sur sa ration alimentaire. Si l’on veut caractériser le fonctionnement bioénergétique de l’écosystème, il importe d’y mesurer les transferts d’énergie – ou flux d’énergie – entre les différents composants. De tels transferts sont définis par leur intensité – la quantité d’énergie transférée dans un temps donné –, qui correspond à la notion de production biologique, et aussi par leur rendement – rapport de l’énergie réellement utilisée à l’énergie qui a été prélevée.Cet aspect dynamique du fonctionnement des biocénoses sera traité dans l’article ÉCOSYSTÈME.6. Cas des biocénoses marinesComme dans les biocénoses terrestres, chaque espèce marine, qu’elle soit végétale ou animale, a des exigences et des tolérances déterminées à l’égard des facteurs ambiants: température, salinité et teneur de l’eau en différents constituants secondaires, agitation du milieu, éclairement, pression hydrostatique (fonction de la profondeur), nature du substrat (pour les espèces benthiques seulement); ces facteurs inhérents aux milieux physique et chimique eux-mêmes sont appelés facteurs abiotiques .Dans une surface de fond donnée, ou dans un volume d’eau donné, les espèces dont les tolérances et les exigences sont les mêmes, ou, tout au moins, se recouvrent partiellement, sont ainsi amenées à coexister; elles peuvent réagir les unes sur les autres de différentes façons. C’est dans le domaine trophique que les interactions sont les plus générales; l’équilibre entre les diverses espèces peut dépendre des rapports de prédation qui existent entre elles; il peut encore dépendre de leur compétition pour une même source de nourriture. Les interactions liées à l’existence de substances chimiques dissoutes (dites ectocrines), que certaines espèces éliminent dans le milieu, favorisant par là, ou au contraire inhibant, la présence d’autres espèces, sont beaucoup moins bien connues, quoique leur existence soit indiscutable; de telles interactions jouent néanmoins sans doute un rôle capital dans le domaine pélagique. Enfin, le parasitisme d’une espèce par une autre est un autre cas d’action mutuelle interspécifique.Bien entendu, notamment lorsque les populations sont denses, les individus d’une même espèce peuvent également réagir les uns sur les autres et divers aspects de la compétition interspécifique qui viennent d’être évoqués peuvent s’appliquer aussi, à des degrés divers, à la compétition intraspécifique. Tous ces facteurs de l’équilibre des espèces liés à leur présence même sont appelés facteurs biotiques .Les biocénoses marines sont définies par une liste d’espèces dites caractéristiques , qui ne trouvent pas ailleurs les conditions de milieu correspondant à leurs exigences; ces espèces ne sont pas forcément abondantes au sein du peuplement. Cependant, l’intensité plus ou moins grande de tel ou tel facteur du milieu peut, au sein d’une biocénose, conduire à la dominance plus ou moins marquée d’une espèce. Ainsi, sur les côtes rocheuses méditerranéennes existe en surface une biocénose dite des algues photophiles, riche en petits Invertébrés divers; mais, lorsque la teneur des eaux en matières organiques, dissoutes et en suspension, est particulièrement élevée, ou que l’agitation des eaux permet un important renouvellement de ces matières, les moules (Mytilus edulis ) sont favorisées et arrivent à représenter l’essentiel du peuplement. On parle alors de faciès à Mytilus edulis de la biocénose des algues photophiles.Certains faciès peuvent être saisonniers. Il en est ainsi sur divers points de la roche littorale superficielle des côtes françaises de la Méditerranée par suite des différences accusées de température à l’échelle annuelle (13-14 0C environ entre l’été et l’hiver); des espèces boréales dominent en hiver et des espèces subtropicales en été.Sous l’impulsion du Danois Petersen, on pourrait définir les unités de peuplement, non plus sur la base d’une liste d’espèces caractéristiques, mais en fonction des espèces qui dominent par leur masse ou le nombre des individus. Ce sont des communautés qui coïncident d’ailleurs souvent avec les biocénoses. En fait, dans l’esprit de son créateur, la notion de biocénose impliquait une interdépendance des espèces, interdépendance qui existe évidemment toujours, mais dont nous n’avons souvent qu’une connaissance très vague; la communauté, plus simple à définir, puisque fondée sur des pesées ou des comptages, est plus fréquemment utilisée.Faut-il considérer comme unités de peuplement de valeur écologique les biocénoses, définies sur des bases qualitatives, ou les communautés, fondées sur des considérations quantitatives? À première vue, les secondes, par l’appareil arithmétique dont elles s’entourent, présentent plus de rigueur. Il n’en est rien pourtant, et l’on s’en aperçoit vite si l’on fait intervenir les facteurs biotiques. Par exemple, dans le plancton, des Crustacées comme les Copépodes herbivores ou les Euphausiacées arrivent, lorsqu’ils se trouvent dans des essaims d’algues planctoniques, à en ingérer une quantité supérieure à celle qui correspond à leurs besoins alimentaires réels; ils peuvent alors jouer un rôle important dans la régression des populations phytoplanctoniques. De même, on a fait sur les côtes britanniques l’expérience qui consiste à enlever des oursins (Echinus esculentus ) d’une certaine surface du fond: les algues benthiques y prennent un développement exubérant; si l’on remet en place les oursins, les algues régressent. On citera encore le cas des prédateurs qui peuvent contribuer à éteindre presque complètement des populations; cela a été observé, par exemple, pour des Gastéropodes du genre Natica qui s’attaquent à des Bivalves fouisseurs des fonds sableux. D’autre part, les populations des espèces benthiques dépourvues de larves planctoniques ne présentent d’une année à l’autre que de faibles variations d’abondance, tandis que les populations des espèces benthiques dont le développement comporte un ou plusieurs stades larvaires planctoniques varient en nombre considérablement au cours des années, car la mortalité de ces larves au cours de leur vie planctonique est importante du fait de prédateurs divers.Ces exemples montrent que les interactions entre espèces, notamment sur le plan des rapports prédateur-proie, altèrent profondément, de façon plus ou moins passagère, les proportions numériques respectives des diverses espèces d’un même biotope. Ainsi la biocénose, fondée sur des estimations qualitatives, apparaît-elle comme la seule unité de peuplement de valeur écologique, car, malgré les fluctuations saisonnières ou annuelles de l’abondance de certaines espèces, la liste des espèces caractéristiques de la biocénose demeure pratiquement inchangée, pour autant que les conditions de milieu ne subissent pas de modification importante.Relations des biocénoses avec les fonds marinsLes biocénoses benthiques qui regroupent des espèces reposant sur le fond marin présentent, lorsqu’on en limite l’étude à la macroflore et à la macrofaune (ce qui est le cas le plus général), une stabilité assez remarquable dans l’espace, en raison du rôle majeur que joue dans leur constitution la nature du fond, d’où les analogies qu’elles présentent un peu partout dans l’océan mondial, sur un type de fond donné. Ainsi, sur les fonds sableux littoraux, entre 10 et 20 m, on trouvera le plus souvent une biocénose comportant des Bivalves, Vénéridés et Mactridés, dont vivent des Gastéropodes prédateurs (Natica , Oliva , etc.), des crevettes, des crabes nageurs (Portunus , par exemple), des Annélides Polychètes (Glycera , Nephthys ), etc. Les roches des niveaux les plus élevés, humectées seulement par les embruns et les plus fortes vagues, montrent toujours une communauté comportant un Lichen (Verrucaria ), un Isopode du groupe des Ligia et un Gastéropode du groupe des Littorina . On pourrait donner bien d’autres exemples de ce parallélisme remarquable dans les mers les plus variées entre biocénoses correspondant à des biotopes analogues. Inversement, si ceux-ci viennent à être modifiés, par exemple par la construction d’une jetée, qui crée une zone de calme là où, précédemment, la houle se développait librement, on observe le remplacement d’une biocénose de fonds sableux par une autre, caractéristique des fonds vaseux.Les biocénoses planctoniques sont plus difficiles à délimiter et même à définir pour deux raisons. Tout d’abord, les espèces planctoniques ont un cycle vital relativement court. En second lieu, il faut tenir compte du fait que les êtres planctoniques sont liés à la masse d’eau qui les porte et qu’ils en suivent les déplacements. C’est pourquoi l’écologiste est amené à s’interroger sur l’échelle spatiale et temporelle à laquelle il doit se référer pour délimiter la biocénose planctonique. Dans le cas où les divers peuplements se succèdent dans le temps en un même lieu, comme dans celui où cette succession se complique d’un transport dans l’espace, on est en droit de se demander si c’est chacune des phases de cette évolution qui représente une biocénose ou une communauté planctonique, ou si, au contraire, c’est l’ensemble de ces phases successives qu’on doit considérer comme homologue des biocénoses et des communautés benthiques. Et lorsque interviennent les migrations nycthémérales, il est tout aussi logique de se demander si les listes respectives des espèces caractéristiques des deux biocénoses à comparer doivent être établies sur la base des récoltes faites vers midi ou vers minuit.Il faut bien dire que la comparaison, sans cesse recherchée, des biocénoses et communautés dans le plancton d’une part et dans le benthos d’autre part est dépourvue de sens. En effet, en dehors même des caractéristiques de mobilité passive des espèces planctoniques, compliquées par l’existence de migrations nycthémérales de beaucoup d’espèces, les premières sont essentiellement composées d’espèces à cycle relativement bref. Au contraire, les peuplements benthiques ont été presque exclusivement étudiés jusqu’ici sur la base du macrobenthos, c’est-à-dire d’espèces dont les plus éphémères ont un cycle biologique qui est du même ordre de grandeur que celui des espèces planctoniques dont la vie est la plus longue. Or, il existe une microflore et une microfaune benthiques, encore fort mal connues d’ailleurs, dont les cycles biologiques sont du même ordre de durée que ceux des espèces planctoniques. C’est seulement lorsque la connaissance de la biologie du microbenthos aura progressé qu’on pourra établir un parallèle entre les deux domaines, sur la base d’éléments réellement comparables.Causes de la diversité des biocénoses marinesLes variations de la richesse de ces biocénoses dépendent de règles générales suivantes:– Quand la profondeur croît, les peuplements planctoniques et benthiques deviennent plus pauvres aussi bien en espèces qu’en individus; l’appauvrissement est particulièrement marqué à partir de 6 000-7 000 m de profondeur, c’est-à-dire dans les eaux et sur les fonds des grands ravins océaniques. Pour le benthos en particulier, la distance au rivage intervient de façon importante: plus on s’éloigne des côtes, plus le benthos profond est pauvre. Les abysses et les grandes fosses les plus riches bordent des rivages insulaires ou continentaux (fosse des Kouriles-Kamtchatka, fosse du Japon, fosse de Puerto Rico). Cet appauvrissement général découle de la distance élevée, verticale ou horizontale, par rapport aux zones de production végétale importante.– Les biocénoses et communautés planctoniques côtières, c’est-à-dire celles que l’on trouve dans les eaux qui surmontent le plateau continental, sont toujours, à profondeur égale, plus riches en espèces et en individus que celles des eaux du large. Il y a à cela deux raisons. D’abord, le plancton végétal trouve dans les eaux néritiques des conditions de développement plus favorables à cause de la richesse plus grande en sels minéraux nutritifs qui proviennent des terres émergées et aussi des fonds mêmes du plateau continental: la faible profondeur facilite les échanges verticaux provoqués par les mouvements des eaux (houles, marées, brassage par le refroidissement hivernal des eaux de surface). De plus, on trouve, dans le plancton néritique, tout le contingent des larves des espèces benthiques du plateau continental, beaucoup plus nombreuses que celles des grands fonds.Il faut tout de même signaler qu’on peut rencontrer, même au large, des communautés planctoniques riches dans les zones où, temporairement ou de façon permanente, des mouvements ascendants amènent vers la surface des eaux profondes riches en nitrates et en phosphates qui permettent le développement d’un luxuriant plancton végétal et, par voie de conséquence, de zooplancton et necton abondants.– Les communautés marines des mers froides et des mers chaudes sont très différentes, et les mers tempérées offrent tous les intermédiaires entre ces termes extrêmes: le nombre d’espèces marines qui ont été capables de s’adapter à la vie dans les mers froides est relativement faible. Dans les communautés planctoniques des mers polaires, par exemple, les Dinoflagellés n’occupent qu’une place infime, alors que, dans les mers tropicales, ils sont souvent dominants; il en est de même des Coccolithophoridés, des Tuniciers pélagiques (notamment les salpes), des Mollusques Hétéropodes, éléments importants des communautés tropicales. Pour les Crustacés Copépodes, qui sont le groupe le plus important du zooplancton dans toutes les eaux océaniques superficielles, la diversité spécifique est également beaucoup plus considérable dans les mers tropicales que dans les mers froides; alors que, dans les eaux du Pacifique tropical, on trouve couramment plusieurs dizaines d’espèces de Copépodes, dont une vingtaine assez abondantes, il n’est pas rare, dans l’Atlantique boréal, de prélever des échantillons de plancton dans lesquels 95 p. 100 du poids total de Copépodes est représenté par la seule espèce Calanus finmarchicus . En effet, lorsque les ressources en nourriture du biotope sont suffisantes, la diminution du nombre des espèces qui les utilisent est compensée par l’augmentation massive en nombre des individus. Ainsi, dans les hautes latitudes, on trouve à la belle saison des communautés de plancton végétal peu variées mais d’une richesse quantitative inouïe; elles servent de support alimentaire à des petits Crustacés herbivores, les Euphausia , dont les essaims d’une grande densité nourrissent les grands Cétacés mangeurs de plancton (baleines, balénoptères). La diversité spécifique accroissant la diversité des rapports trophiques, il y a, dans les eaux pauvres des basses latitudes, un accroissement du pourcentage de carnivores par rapport à l’ensemble du zooplancton, ce qui est de nature à assurer un recyclage optimal de la matière à l’intérieur du système.Pour le benthos, on observe la même inégalité entre les peuplements des mers froides et ceux des mers tempérées ou tropicales. On sait généralement que la biocénose des récifs de coraux, qui est une des plus riches du monde en espèces, n’existe que dans la zone intertropicale, mais il y a d’autres exemples. Ainsi, les biocénoses à base de Phanérogames marines, complètement absentes des hautes latitudes, ne sont représentées dans les mers tempérées que par une demi-douzaine d’espèces, alors que, dans les mers tropicales, on connaît environ vingt-cinq peuplements différents dont l’élément essentiel est un de ces végétaux. De même, les biocénoses des niveaux superficiels peuplées d’huîtres sont propres aux mers tropicales; les établissements ostréicoles des mers tempérées correspondent à un état artificiel. De même encore, dans les très hautes latitudes, les biocénoses des niveaux les plus superficiels sur les côtes rocheuses, à base d’algues, de Cirripèdes, de Gastéropodes Littorinidés ou Patellidés, de moules, etc., sont pratiquement absentes en raison de l’abrasion par les glaces en hiver; les biocénoses des haute et moyenne plages sont également absentes, à cause de l’influence du gel. En revanche, les faciès à base de grandes algues brunes, qui existent dans la zone de balancement des marées et à la partie supérieure du plateau continental dans les mers tempérées ou assez froides, par exemple les ceintures de divers Fucus et Laminariales des côtes septentrionales de l’Atlantique et du Pacifique, ou les prairies de Macrocystis dont les frondes atteignent quelques dizaines de mètres de long sur les côtes de Californie ou dans les îles australes (Kerguelen, Saint-Paul, Nouvelle-Amsterdam), sont complètement absents des mers tropicales.Biomasses océaniquesQuelques chiffres aideront à fixer les idées sur la richesse des divers peuplements marins. Pour le plancton végétal, au moment de la grande poussée printanière, on observe en poids frais de 2 à 4 g/m3 d’eau de mer sur la côte est du Groenland et jusqu’à 22 g/m3 au large de Kamtchatka, alors que, dans les eaux tropicales, on ne trouve que quelques dizaines de milligrammes par mètre cube. Pour le plancton animal, la richesse peut être appréciée de façon simple en filtrant l’eau et en mesurant le volume total d’animaux retenus par le filtre; dans les eaux tropicales, ce volume est généralement de l’ordre de 10 à 25 cm3 pour 1 000 m3, mais il peut monter jusqu’à 1 600 cm3 au voisinage des aires où des soulèvements d’eau profonde créent des conditions favorables à la nourriture du phytoplancton. En profondeur, l’abondance du plancton décroît très vite et n’est plus, dans les eaux qui emplissent les grandes fosses, que de 1/500 environ du chiffre correspondant au plancton des eaux de surface. En ce qui concerne le benthos, la masse de matière vivante par mètre carré de fond peut atteindre de 2 à 3 kg en poids frais dans certains fonds meubles du plateau continental, mais généralement pas plus de quelques centaines de grammes, et souvent beaucoup moins, dans les mers tropicales. Sur les fonds rocheux, les communautés à base d’huîtres ou de moules peuvent atteindre jusqu’à quelques dizaines de kilos par mètre carré, dont plus des trois quarts, d’ailleurs, sont représentés par le calcaire des coquilles; il en est de même des communautés des récifs de coraux. Les communautés à base d’algues brunes des mers tempérées peuvent atteindre jusqu’à 20 kg/m2. Dès qu’on descend vers les profondeurs, la masse de matière vivante diminue très rapidement et, sur les boues qui couvrent le fond des grandes fosses, on ne trouve généralement que quelques décigrammes ou même quelques milligrammes de matière vivante au mètre carré.
Encyclopédie Universelle. 2012.